L’idée dort dans mon esprit depuis la tentative de « livre interactif » ébauchée avec Gésir et tient en une question : « Est-il possible d’écrire une même histoire sur plusieurs supports : première partie : un texte, deuxième : une vidéo, etc… ? » Un projet qui vient de mon parcours de cinéaste évidemment et du fantasme d’épouser mes deux fiancées -la caméra et la plume- en même temps. Mais qui vient aussi d’internet… Ce Léviathan qui brasse indistinctement les vidéos, les e-mails, les blogs, les e-books peut-il servir de support à de nouvelles formes de narration ? Après tout, me dis-je, on a bien vu surgir des « écritures » inattendues après que la photographie, le cinéma ont été inventés. Mais la chose reste théorique dans ma tête et les amis à qui j’en parle à l’occasion ouvrent de grands yeux dubitatifs… Jusqu’au jour où un week-end entre copains me conduit près de Saint-Pierre la Mer (Aude) et là, je revois l’OEil-Doux.
J’avais déjà, dans un lointain scénario de film qui ne s’est jamais réalisé, pensé à ce gouffre aussi calme que menaçant comme décor pour une séquence, mais cette fois l’idée qu’il pourrait être au centre d’une fiction me saisit. Et l’espace de quelques heures, enivré par le mystère du lieu, une trame me vient à l’idée : ici, dans ces eaux, un homme autrefois célèbre a disparu ; et comprendre pourquoi revient à reparcourir l’histoire récente de l’Occitanie. Après tout, c’est vrai, on est dans une région qui a tant changé, s’est tant métamorphosée depuis le début du XXeme. Les vignes ont laissé la place aux lotissements pour touristes, l’agriculture à la civilisation des loisirs… Et puis, dans la voiture, sur le chemin du retour, cette trame se superpose avec le projet précédent : raconter cette histoire sur plusieurs supports : une vidéo, un texte, un blog… A peine rentré chez moi, je note vite le premier synopsis avant de l’avoir oublié. Car c’est souvent comme ça pour moi : en voiture, bercé par les virages, les paysages, j’imagine, et puis une fois arrivé tout est effacé !
Une année plus tard environ, soit environ fin 2016, un producteur toulousain (Pierre Mathiote) s’intéresse au projet et ensemble nous envoyons diverses demandes d’aides à la Région Occitanie, au Centre du Cinéma, au Centre Régional des Lettres, à des Résidences d’Ecritures Innovantes… Et parallèlement j’apprends à me servir de logiciels compliqués (Muse, Flip HTML5, Kolor-Panotour) pour attaquer la réalisation des diverses pièces du puzzle. Après divers tâtonnements et ajustements, il y en aura finalement trois : une vidéo, un récit autobiographique du personnage principal et le blog qu’il a tenu juste avant de disparaître. Le tout est rassemblé sur un site internet appelé Les Yeux Doux car chacun des trois « morceaux » du récit comporte le mot « Oeil » dans son titre.
Mais quelque chose ne colle certainement pas. En effet d’une part aucune des aides n’est accordée ! Mais ça on y est habitué ; ces commissions volent toujours au secours de la victoire et ne soutiennent que ce qui est déjà plébiscité par la presse, les amis, les chapelles ; les chercheurs solitaires dans leur coin sont rarement considérés alors que c’est justement eux qui… Mais bref, passons ; ce qui est plus gênant est que d’autre part les quelques personnes à qui je montre le résultat continuent d’ouvrir de grands yeux perplexes. « C’est quoi cet ovni ? » Semblent-ils dire.