Peut-être que je me serais arrêté là (34 lettres de refus, ça fait tout de même réfléchir !) mais c’est un autre film qui me remet en selle. Un documentaire que je réalise autour de ces années-là (2011-12) sur le thème du lit ! Oui, le lit où l’on naît, où l’on rêve, où l’on aime, où l’on souffre et où l’on voit la mort venir ; ces cinq colonnes du temple que l’on appelle « condition humaine ». Ainsi, immergé jusqu’au cou dans diverses recherches historiques et autres, je tombe sur l’histoire plus ou moins légendaire des Enervés de Jumièges…
Les Enervés en question ne sont pas des types qui veulent tout casser, mais, vers l’an 650, deux jeunes héritiers du trône de France à qui l’on aurait sectionné (énervé) les tendons des jambes sous prétexte de haute trahison puis qu’on aurait couchés sur un lit flottant et laissés dériver au fil de la Seine. Quant à Jumièges, c’est le nom de l’abbaye, proche de Rouen, où ils auraient finalement été recueillis par des moines qui en ont fait des saints. Enthousiasmé par ce dernier voyage alité qui illustre si bien un des aspects de mon film, je le conclus par une séquence entière de reconstitution avec lit flottant et comédiens.
Pourtant, le film fini, cette histoire continue de me hanter, et de fil en aiguille, démarrant avec le vague projet d’une possible série TV, puis imaginant un scénario de long-métrage, je finis par en faire le sujet de ce qui sera mon deuxième roman.
Changement de perspective sur l’affaire des Enervés de Jumièges, ces deux héros d’une lointaine légende médiévale revisitée par l’auteur… Et si Clotaire et Childéric, les deux princes suppliciés puis abandonnés sur un lit flottant aux caprices du fleuve, étaient l’occasion d’une épopée pleine de rebondissements d’abord, d’une plongée dans un moyen-âge aussi ténébreux qu’illuminé ensuite, et d’une parabole d’actualité enfin, sur l’éternel affrontement entre humanisme et montée du fanatisme religieux ?
Là aussi, une année environ de longues recherches historiques bien sûr, puis de rédaction assidue ; et le texte voit enfin le jour. Alors, incorrigible naïf qui n’a toujours pas compris qu’on ne doit pas écouter les encouragements des amis, nouvel investissement en cartouches d’encre, en reliures, en timbres et cetera, mais avec une différence cette fois : ma liste d’adresses d’éditeurs germanopratins ! L’ayant conservée de la première fois je passe moins de temps à tout expédier.
… De sorte que tout au long de l’été 2013 mes chers destinataires me répondent… Au rythme d’une enveloppe avec joli logo dans ma boite aux lettres tous les deux/trois jours environ… Et tous pour dire la même chose… 22 fois non ! Encore un Goncourt qui s’éloigne…
La déconvenue est moins grande toutefois. Le métier aux trois « R » (Romancier Ringard Refusé) commence sans doute à rentrer. De sorte que le 22eme et dernier râteau reçu (on notera que soucieux de préserver un certain équilibre économique, j’ai, cette fois, sollicité moins de Papes en leurs palais de Saint-Germain des Prés), je m’en retourne vers mon éditeur en ligne et signe pour un deuxième opus en e-book et version papier : https://www.leseditionsdunet.com/roman-historique/2317-gesir-louis-calvel-9782312021980.html
Mais une envie de tirer, sinon vengeance, au moins un plus de de ce moins qui m’a été infligé, me titille. Puisque me voilà condamné aux livres électroniques à triple zéro (zéro refus d’éditeur, zéro frais de publication, mais zéro lecteur) pourquoi ne pas s’en régaler et proposer un e-book qui en soit vraiment un, c’est à dire interactif ! Profitant alors de l’entière liberté qui m’est laissée de concevoir la maquette, je la truffe de liens menant à des extraits de mon film sur le lit ou autres vidéos en relation avec les lieux, l’action, les personnages… Bref, si l’envie l’en prend, le lecteur de cette œuvre aussi médiévale que révolutionnaire peut encore aujourd’hui naviguer à sa guise entre mots et images, légende et vérité historique, livre et film…